Léonard de Vinci

dimanche 8 mars 2009

INTRODUCTION

INTRODUCTION
Jacques ROUVEYROL

1 . Objectif général  : se familiariser avec l’art contemporain.

1.a. Le paradoxe :

Nous avons une grande familiarité avec les technologies contemporaines. L'avion, l'automobile mais encore la télévision devenue numérique, le téléphone portable multifonctions, l'ordinateur, l'internet, les logiciels les plus sophistiqués ne nous surprennent plus. Nous pouvons nous émerveiller de tant d'ingéniosité, de la rapidité d'évolution de ces technologies, mais elles nous sont familières.

En revanche, l'art contemporain s'offre à nous sous les auspices de l'étrangeté. Il nous apparaît trop souvent comme incompréhensible. Il y a là un paradoxe. Nous sommes de notre temps pour la technique, d'un autre temps pour la production artistique.

1.b. Le moyen de nous familiariser :
Il faut partir d’un art qui nous soit aussi étranger que l'art contemporain. C'est le cas de celui du Moyen-Âge.
Il y a une fausse familiarité de l’art médiéval. Il subsiste auprès de nous. Pas un village de France qui n'ait son église du XII° ou du XIII° siècle. Les châteaux médiévaux peuplent aussi nos campagnes dans leurs parties escarpées.
Pourtant, il est empreint d'une véritable « étrangeté ».

2. Le préjugés.

2.a. Le Moyen-Âge comme âge obscur.

a. L’Antiquité nous est familière via la Renaissance. Celle-ci a remis à l'honneur aussi bien la sculpture que l'architecture grecque ou romaine. La mythologie est venue sinon remplacer du moins rivaliser avec la Bible comme source des réalisations artistiques

b. Notre base esthétique est l’art de la Renaissance. C'est la perspective apprise au cours de "dessin" (avant que les arts plastiques ne viennent le remplacer à l'école). C'est les mille et une oeuvres qui ornent nos plus grands musées. C'est la publicité qui emprunte à la peinture (comme à la musique) des modèles. Notre regard est entièrement "informé" par l'esthétique née à cette période et conservée jusqu'à la fin du XIX° siècle. Notre regard est du XV siècle.

c. Dès lors, le Moyen-Âge est perçu comme un chaos culturel, une « parenthèse » entre Antiquité et Renaissance.

2.b. Le Moyen-Âge, véritable base de notre culture.
Pourtant, et c'est là un nouveau paradoxe, l'antiquité est en réalité un monde qui nous est étranger. La Renaissance n’est qu’un aménagement du monde médiéval.
Le « paysage français » est médiéval plus que renaissant. Notre culture est chrétienne : calendrier des fêtes, des saints ; nos valeurs morales sont chrétiennes. L’Ecole nous vient du Moyen-Âge (Charlemagne et Alcuin, son "ministre" de l'éducation). Le tracé de certains quartiers de nos villes date du Moyen-Âge. Bien des villages de campagne, vus d'un peu loin, ont un aspect qui n'est guère différent de celui qu'ils avaient au Moyen-Âge.

2.c. Le préjugé romantique.
Cette apparence d'âge obscur pris dans nos esprits par le Moyen-Âge vient aussi du romantisme du XIX° siècle. Celui-ci se nourrit de « forces obscures » : c'est le génie romantique dans le Roman gothique. Le Moine de Lewis en est une belle illustration. Mais aussi bien le Faust de Goethe.
La fascination des ruines qui caractérise le romantisme est plus tournée vers les ruines du gothique que vers celles de Pompeï, d'Herculanum, du Forum romain ou de l'Acropole athénienne.

2.d. Le préjugé « moderne »
Il y a encore, pour nous rendre étranger le Moyen-Âge, un préjugé moderne concernant l'architecture. Celle-ci, depuis Le Corbusier est fonctionnaliste. La fonction d'un bâtiment ou d'une de ses parties doit pouvoir se lire dans sa forme, immédiatement. Ce ne serait pas le cas dans les églises médiévales (ce qui est une erreur puisqu'au contraire, au plus fort du gothique classique la cathédrale se donne pour un véritable traité incarné d'architecture).

2.e. Le préjugé de la beauté.
On peut entrer dans une église et trouver belle la voûte, beaux les chapiteaux ou le tympan du portail. C'est là un jugement anachronique. La sculpture romane n’est pas « belle ». Ne cherche pas à l'être. La juger telle, c'est la voir avec des yeux renaissants. Et ce préjugé est un obstacle de plus à la compréhension de l'art de cette époque. Car on dira aussi que telle sculpture n'est pas belle puisque le corps y est déformé, mal proportionné (non conforme au Canon grec). Mais, encore une fois, ce n'était pas la visée de l'artiste que la beauté.

3. L’effort nécessaire pour comprendre.
Il faut donc faire un effort pour comprendre le Moyen-Âge. Exactement comme il faut faire un effort pour comprendre l'art contemporain. C'est la similitude de ces efforts qui justifie que ce cours au lieu de commencer par l'antiquité commence par le Moyen-Âge. Le même travail est à faire pour accéder à l'un comme à l'autre.
A ces deux efforts, nous allons nous employer tout au long de ces cours qui tenteront de caractériser les périodes et les courants artistiques plus par ce qui les distingue que par ce qui les rapproche, démarche nécessaire en période d'initiation.

samedi 7 mars 2009

L'ART ROMAN (1) CHAPITRE 1 L'ARCHITECTURE ROMANE

L'ART ROMAN
Jacques ROUVEYROL

CHAPITRE 1 : L'ARCHITECTURE ROMANE

D'une église, il y a d'abord un plan.

1. Le plan :

Le XII° siècle est un siècle de pèlerinages. Les plus prestigieux mais aussi les plus risqués et les plus chers sont en premier lieu le pèlerinage à Jérusalem, en second lieu à Rome. Plus populaire et plus fréquenté le fameux pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle.
Un pèlerinage est un voyage organisé vers des reliques. En Grèce, on allait à Delphes consulter l'Oracle rendu par la Pythie chaque fois qu'on avait une décision à prendre ou une affaire importante à conclure. Pourquoi à Delphes précisément ? Parce qu'à Delphes est l'Omphalos, le nombril du Monde (une pierre de taille importante affectant la forme d'un oeuf). Delphes est le centre de l'univers.
Le monde chrétien se dote d'une multitude de "centres" : des lieux où sont les reliques des saints auxquelles on prête un pouvoir spirituel (assurer son salut) ou temporel (guérir une maladie).
Le plan de l'église doit donc remplir deux fonctions : 1) assurer la présentation des reliques, 2) assurer la circulation des pèlerins.
Deux sortes de plans verront le jour : le plan bénédictin qui favorise la présentation des reliques en les exposant dans des chapelles alignées le long du transept.

Le plan à chapelles rayonnantes qui favorise la circulation des pèlerins en groupant dans l'abside, autour du déambulatoire les chapelles où sont exposées les reliques. Ce plan l'emportera généralement sur l'autre.
2. La structure.

La structure, ce sont les éléments de la construction et leur composition.

2.a. Les éléments : les arcs.
On a coutume d'imaginer que l'arc roman est le plein cintre. C'est inexact. Certes, le plein cintre est caractéristique, mais tout le roman ne s'y résume pas. L'arc brisé, mais aussi bien d'autres sortes d'arcs ont été utilisés par les mâçons romans.
2.b. Composition : les voûtes.

La voûte la plus répandue est, naturellement, la voûte en berceau plein cintre. Mais, encore une fois la voûte brisée est parfaitement romane.
Là où les voûtes se croisent, on obtient une voûte d'arêtes qu'il faudra par la suite bien distinguer le la voûte ogivale.

3. Le mur.

3.a. Les éléments : colonnes et piliers

Les églises à chapente utilisent en général des piliers.



Les églises à voûte, des colonnes. Mais les choses ne sont pas simples. Le pilier peut se voir accoler des pilastres (donnant naissance au pilier quadrangulaire par exemple) ou des demi-colonnes (donnant naissance au pilier quadrilobe). La colonne des demi-colonnes. Quelquefois le nombre des éléments devient très important.
3.b. L'engagement dans le mur.

Mais ces piliers, ces colonnes sont généralement engagés dans le mur, si bien qu'ils n'ont que très secondairement une fonction portante. Tout se passe comme si l'on voulait exprimer par ce regroupement des pilastres et des demi-colonnes autour du pilier et de la colonne eux-mêmes adossés au mur, la subordination du petit au grand et la solidarité organisée qui en découle qui caractérise l'ordre social de la féodalité (seigneur, vasseaux, paysans).
Ci-dessous la terminologie relative à la colonne surmontée d'un chapiteau et le dessin d'une demi-colonne engagée dans un pilier lui-même engagé dans le mur.
3.c. Le portail.

Le portail est un élément essentiel de l'église. Non qu'il soit le point de passage du dehors vers le dedans, car l'église a autour d'elle tout un périmètre qui patrticipe de sa sacralité (il y a souvent le cimetière qui fait partie de son "espace"); mais il est le lieu de l'ouverture.


3.d. Le mur roman

Le mur grec (ci-dessous à gauche) est abstrait. Quelque soit une pierre sortie de la carrière et taillée, on peut la mettre où l'on veut, lui substituer une autre pierre sans inconvénient. Le mur grec est homogène.
Le mur roman (ci-dessous à droite) est concret. Chaque pierre est unique et demande donc que chaque autre se conforme à elle et réciproquement. Comme dans un organisme vivant, chaque organe s'adapte (plus ou moins bien) aux variations de fonctionnement des autres organes, la pierre romane répond à toutes autres.
Le même principe de solidarité est ici à l'oeuvre, à ceci près qu'il n'y a pas de domination du plus grand sur le plus petit.

4. Le refus de la perspective en peinture.

Le mur constitue l'élément essentiel de l'art et de l'esprit romans. C'est lui qui prime. C'est lui qui va conditionner ce que seront et la peinture et la sculpture du XII° siècle.
En peinture, par exemple, il ne pourra être question de "trouer" le mur par une illusion de profondeur. Il ne pourra être question d'utiliser par conséquent la perspective linéaire que la Renaissance mettra en oeuvre. On n'acceptera pas qu'il y ait plus d'un plan et tout devra se figurer sur le même plan (voir chapitre suivant).

5. Les lieux de la décoration
Les lieux de la décoration sculptée sont donc conditionnés par l'architecture. Ce sont les points de jonction. Le chapiteau au point de jonction de la colonne et de la voûte. La base à la jonction de la colonne et du sol. Les voussures à la jonction du dedans et du dehors (portail). Les modillons enfin à la jonction du mur et du toit.

6. Le chevet.
Le chevet, enfin est la partie externe Est de l'élise qui comprend l'abside autour de laquelle , comme les demi-colonnes autour de la colonne, se groupent les absidioles, évoquant là encore la subordination du petit au grand.
Vue du dehors, l'église se présente alors comme une gigantesque sculpture, taillée à-même l'espace, dessinant dans cet espace profane un bloc architecturé d'espace sacré et tel que le regard, coulant des absidioles vers l'abside s'élève peut à peu jusqu'au le Ciel en passant par la flèche.

7. Le problème de la sculpture.

a. Dans le schème égyptien les dimensions "techniques" et "objectives" coexistent. La statue du pharaon respecte les proportions du corps humain. Mais portée à une taille gigantesque, il s'ensuit des déformations visuelles qui ne sont pas corrigées. Le sommet de la statue est vu plus petit parce que plus éloigné que sa base, vue plus grande parce que plus proche. De même, le raccourci qui fait que le bras le plus éloigné vers l"arrière" est vu plus court que celui qui se déploie vers l'avant, est ignoré. Les deux bras sont toujours de la même grandeur.


b. Dans le schème grec les dimensions "objectives" l'emportent sur les dimensions "techniques". La correction visuelle s'applique et fait que, quelque soit la hauteur de la statue, l'impression sera celle de la conservation des proportions objectives du corps humain qui sont d'ailleurs canonisées.



c. Dans le schème médiéval les dimensions objectives sont tout simplement abandonnées et les figures humaines ou animales soumises à des "déformations" dont il faudra tenter d'expliquer (chapitre suivant) les raisons.



L'ART ROMAN (2) CHAPITRE 2 LA SCULPTURE ROMANE

L'ART ROMAN

CHAPITRE 2. LA SCULPTURE ROMANE.
Jacques ROUVEYROL
1 La couleur :

Elle est partout dans les églises romanes : aux murs, aux sculptures.






2 L’Iconographie :

C’est celle d’une foi « terrifiée » : l’Apocalypse aux tympans.
L'homme du XII°siècle croit. Il croit en un Dieu absolument étranger, transcendant et qui n'a rien de commun avec l'homme. Un Dieu terrible dont la volonté est incompréhensible à l'esprit humain. La figure byzantine du Dieu du tympan de Moissac est faite pour donner cette impression de puissance terrifiante.
Il croit encore que la fin du monde est proche. Qu'elle peut le concerner directement. Que l'Apocalypse est pour demain sinon pour aujourd'hui.
Le Dieu gothique se rapporchera de l'homme. Sa volonté distinguant clairement le bien du mal deviendra compréhensible et à l'Apocalypse se substituera au tympan des églises le Jugement Dernier.
Le Dieu du gothique tardif, aux XIV° et XV° siècles deviendra plus "humain" encore : ce sera le Crucifié. Le Dieu touché par la mort : le Christ de pitié.

3 Les caractéristiques : le rejet du « réalisme ».

La sculpture romane ne s'inspire pas "de la nature". La représentation de l'homme apparaît "déformée". Il faut comprendre les raisons de cette déformation. Elles tiennent essentiellement (cf Focillon) à la soumission de la sculpture au cadre architectural. A la domination de l'architecture sur la sculpture qui ne commencera à se libérer qu'à partir de l'âge gothique pour achever sa libération à la Renaissance.

3.a. Première loi : La soumission au cadre architectural (Facteur architectural).

Le chapiteau, la voussure constituent des cadres formels dans lesquels la sculpture doit entrer et, pour y parvenir, se plier. Ainsi, l'homme trapèze (ci-dessous) doit-il sa forme au claveau dans lequel il s'inscrit.


3.b. Deuxième loi : l’espace-lieu (Facteur métaphysique)

La théorie aristotélicienne, en vigueur au Moyen-Âge ne conçoit pas l’espace comme homogène à la façon d’Euclide mais comme formé de lieux rigoureusement distincts et indépendants les uns des autres. Ce n'est pas indifférent pour un corps de se trouver en bas, en haut, à gauche ou à droite. A preuve le fait que la flamme s'élève puisque le haut est son lieu naturel; le fait que la pierre tombe puisque son lieu naturel est le bas.
Plusieurs conséquences découlent de cette conception :

a. Chaque figure occupe un lieu et l’occupe totalement.
S'ensuivent des déformations qui permettent seules à la figure de combler le lieu qui est le sien.



b. Chaque lieu est indépendant de chaque autre (par son contenu) :
Les chapiteaux du cloître de Moissac s’enchaînent sans aucune logique alors qu'on aurait pu s'attendre, du fait de leur succession, à ce qu'ils racontent une histoire qui, partie de la Genèse, par exemple, pouvait aboutir à la Résurrection.Ce n'est pas le cas. Ils se succèdent dans un pur "désordre" historique.

c. Chaque lieu est dépendant de chaque autre (par sa forme).
En sorte chaque figure doit se plier à la forme de la figure voisine (comme les pierres inégales du mur roman ajustent leurs formes les unes aux autres) et subir ainsi des déformations. Ci-dessous, à Moissac, les figures du Tétramorphe ajustées à la forme du lieu divin et celles des séraphins à la forme des lieux du Tétramorphe.


3.c. Troisième loi : la perspective hiérarchique (Facteur symbolique).

Le Moyen-Âge refuse la perspective linéaire qui sera celle de la Renaissance. C'est qu'il refuse de creuser illusoirement (autant que réellement) le "mur" qui est le vecteur de l'architecture romane. Mais, il n'ignore pas la perspective. Il met en place une perspective hiérarchique : au centre, en haut et au lieu le plus grand, la figure la plus importante (Dieu, par exemple). A droite, en haut ce qui par ordre d'importance vient juste après, par exemple l'évangéliste le plus proche du divin : Saint Jean (l'aigle : celui qui regarde le soleil en face). A gauche, en haut : Saint Mathieu (l'ange) celui auquel l'ange lui-même a dicté son Evangile. A droite, mais en bas : Saint Marc (le lion) qui représente la Résurrection du Christ. A gauche, en bas : Saint Luc (le boeuf, l'animal du sacrifice) qui figure la Crucifixion. En bas, le moins "noble" : les vieillards de l'Apocalypse.



3.d. Quatrième loi (1) : la soumission à la trame (Facteur plastique).
Le chapiteau roman est hérité du corinthien : les figures qui y seront sculptées reproduiront la forme sous-jacente, la trame de ce type de chapiteau : rosette, double niveau de feuilles d'acanthe et crochets. S'en suivront la déformation des figures destinées à les plier à cette trame.



3.e. Quatrième loi (2) : la soumission à la trame ornementale (Facteur plastique) :
Symétrie ou métamorphose.
Des exigences géométriques, dues à la trame corinthienne : la symétrie, en particulier, engendrent en outre de nouvelles déformations, mais surtout des figures hybrides surgies de métamorphoses.



Il y a là en outre les conséquences d'une conception particulière de la Nature. Dieu a créé le monde, a donné forme aux êtres qui le peuplent, mais l'infinité de sa puissance n'est pas résumable aux êtres familiers. La Nature est elle-même l'expression de la puissance divine et ne cesse de créer de nouvelles formes. Ce n'est certes pas le darwinisme ou le lamarckisme du XIX° siècle, car il n'y a pas au XII° d'idée d'évolution ou d'adaptation. La Nature ne crée pas pour mieux faire, elle crée parce qu'elle est une puissance active. Dès lors, aux bordures des pages manuscrites et aux murs des églises ce sont des enchaînements "monstrueux" de créatures qui se dévorent entre elles ou qui se changent les unes dans les autres en d'incessantes métamorphoses.

4. Les ornements.
Là, point de déformation. Spécialement au tailloir des chapiteaux ou aux voussures des tympans, des figures géométriques dont il n'est pas indifférent de noter que les entrelacs (formes géométriques des enchaînements monstrueux dont on vient de parler) constituent sans doute le dessin le plus fréquent.


5. La tradition.

A l'opposé de ce qui semble caractériser l'art contemporain, ce n'est pas vers l'invention, mais plutôt vers la tradition que se tourne le sculpteur roman. Il s'agit bien pour lui de transmettre. C'est qu'au Moyen-Âge, tout est déjà donné. La totalité du savoir est déjà révélée. Il ne s'agit, pour les Pères de l'Eglise que de l'expliciter et, pour les artistes, de le transmettre. Dans les monastère, on recopie les manuscrits. Au murs des églises, on recopie aussi les manuscrits.
Mais le sculpteur ne se borne pas à reproduire. Il s'imprègne du modèle et l'adapte de mémoire à la pierre. Le tympan de Moissac pourrait bien venir du manuscrit : l'Apocalypse de Saint-Sever. Le drame liturgique sert également d'inspiration.

6. La peinture.

Elle présente des caractères analogues à ceux de la sculpture.

6.a. La peinture murale

a. « Muralité »
La représentation doit refuser toute illusion de profondeur. C'est le mur qui doit être mis en valeur. Tout sera donc sur le même plan : le "premier".

b. Soumission au cadre.
La peinture devra soumettre ses figures aux mêmes exigences que les figures sculptées, avec toutes les déformations qui en découlent.

c. Soumission à la trame (géométrique).
Exactement comme pour la sculpture.

6.b. Les manuscrits.

a. « Muralité »
Le ton pierre est fréquent dans le choix du papier sur lequel on écrit et enlumine. Toute perspective qui donnerait l'illusion de la profondeur est évidemment bannie (encore que ce soit, mais surtout au XV° siècle, dans ces enluminures, que les premières tentatives de perspective linéaire, trouvent à apparaître).

b. Soumission au cadre.
Là encore (voyez les "majuscules") les figures ont à se plier à "l'architecture" de la lettre, de la page ou de la marge.




L'ART GOTHIQUE (1) CHAPITRE 3 L'ARCHITECTURE GOTHIQUE

L'ART GOTHIQUE
CHAPITRE 3 : L’ARCHITECTURE GOTHIQUE
Jacques ROUVEYROL


Le roman, c’était le mur. Le gothique sera la négation du mur. Son remplacement par des cloisons de verre : les vitraux.

1 . L'ogive


L'invention de l'ogive, c'est faire en sorte qu'au point de plus forte pression de la voûte se trouve le moyen de renvoyer les forces vers "l'extérieur". La croisée d'ogive définit un point où se rencontrent deux arcs. La voûte pèse sur ce points, mais au lieu de peser vers le bas en une force directe, perpendiculaire au sol, elle pèse vers les côtés, les arcs se croisant en ce point recevant cette "pesée" et la dispersant vers quatre directions.

2 . La voûte d'ogive

La cathédrale gothique est un traité d’architecture. La regarder, c’est comprendre le jeu des forces en présence dans la voûte et sur les piliers.

Elle empunte deux formes : la voûte domicale qui fait comme une succession de dômes, la croisée d'ogive se faisant plus haut que le sommet des arcs formerets ou doubleau.



.......................................................................
Voûte domicale

La voûte segmentale obtenue par rehaussement des arcs formerets et doubleau pour les aligner sur la hauteur de la croisée d'ogive afin d'obtenir une voûte régulière



...............................................................Voûte segmentale3. L'élévation du mur.


Plusieurs solutions ont été tour à tour ou ensemble mises en oeuvre pour permettre l'élévation de l'église. D'abord l'arc formeret.

a. L’arc formeret
Noyé dans le mur, parallèle à la grande arcade qui borde la nef à chaque travée et ouvre sur le collatéral, il renforce la structure selon le principe plus haut exposé : rejeter les forces de part et d'autre et, de ce fait les diviser par deux, au lieu de les recevoir perpendiculairement.

b. L’amincissement des supports
Le renforcement du mur s'appuie également sur un autre mode de construction. A la construction appareillée qui prend la pierre au sortir de la carrière telle qu'elle y était intégrée (strates parallèles horizontales accumulées par le temps et qui la rendent "élastique"), on substitue la construction en délit qui renverse la pierre de façon à ce que les strates figurent verticalement. En résulte une rigidité (opposée à l'élasticité susdite) du support qui permet son amincissement et, du coup, un moindre poids.

 
c. Le premier gothique (XII°s) : Saint-Denis, Noyon, Laon, ND de Paris.

c.1.- Marienval : une église romane avec les premières ogives.

c.2.- Laon : typique du Premier gothique : les 4 étages : grandes arcades, tribune, triforium, fenêtre haute.
Le premier gothique donne souvent, à l'extérieur, l'apparence du parfait roman (Noyon, par exemple). Il se caractérise essentiellement par le développement de l'ogive, naturellement, de l'arc formeret et de la tribune. Celle-ci consiste à élever sur le collatéral un étage qui vient en appui du mur de la nef qui peut ainsi gagner en hauteur.


4. L'arc boutant et le gothique classique(1ere moitié du XIII°S)

L'apparition de l' arc boutant va permettre de se passer des tribunes. La voûte "pèse" sur les murs à chacun de ces côtés. La tribune renforçait les côtés. L'arc boutant va prendre les forces et les conduire à l'extérieur du mur dans la culée et, de là, vers le sol.
Débarrassé des tribunes, le mur va pouvoir s'évider davantage et se trouver remplacé par des cloisons de verre : les vitraux.


- Chartres, Reims, Amiens, Bourges, Le Mans.



(Extrait de Le Défi des Bâtisseurs - La Cathédrale de Strasbourg Arte 2012)

5 . L'arche de verre et le gothique rayonnant : (2° moitié du XIII°S)

Le mur ayant disparu, les "nervures" seules subsistent et, entre elles, les vitraux. La Sainte-Chapelle, dans l'Île de la Cité, à Paris, est un bâtiment de verre (comme on en construit encore aujourd'hui).
Nous sommes là aux antipodes de l'architecture romane centrée sur le mur de pierre. La rosace (un soleil qui rayonne, de là le nom donné au style de cette époque) est sans doute une des plus belles et convaincantes manifestations de cette architecture si élégante (au sens où l'on dit d'une démontration mathématique qu'elle est élégante).



6. Le vitrail

a. Caractères généraux : sa symbolique :
La cathédrale est sans doute une arche où se réfugient ceux qui veulent être sauvés. Mais elle est aussi la préfiguration de la Cité de Dieu. Comme telle, elle doit se présenter comme un écrin où abondent les pierres précieuses. Les couleurs des vitraux donnent à la lumière incidente, le reflet de telles pierres.
En outre, parce qu'il figurent souvent des saints, les vitraux sont comme la Cour des Seigneurs qui siègent avec Dieu, de part et d'autre du tabernacle où lui-même réside.

b. Son évolution :
L'évolution du vitrail nous apprend en outre quelque chose de capital sur sa signification. De petite taille aux couleurs peu vives à l'époque romane, il permet à un peu de lumière d'entrer dans l'église. Encore, par ses couleurs, transforme-t-il cette lumière.
A mesure que le mur régresse et fait place au verre, celui-ci intensifie ses couleurs (souvent "sombres" : bleu et rouge), en sorte qu'il n'entre pas plus de lumière qu'auparavant. On n'édifie donc pas les cloisons de verre pour éclairer davantage.
C'est que l'objet du vitrail n'est pas tant l'éclairage que la transmutation de la lumière terrestre en lumière céleste. Dans la Maison de Dieu, la lumière du soleil n'a pas sa place. Il y faut une lumière divine. Le vitrail est la pierre philosophale qui réussit cette transmutation.

7. Le gotique flamboyant(fin XIV° - XV°S)

Si dans le gothique classique on pouvait d'un coup d'oeil, suivant les nervures des colonnes et des arcs comprendre l'architecture de la cathédrale, dans le gothique flamboyant l'oeil se perd dans les dédales des nerfs dont la plupart n'ont d'autre fonction que décorative voire spectaculaire.
Flamboyant est dit ce gothique parce que les colonnes et les arcs, utilisant la contre-courbe, miment la grâce (qu'on dira maniériste au XVI° siècle) de la flamme qui s'élève. Style exotique et d'une grande légèreté dans lequel certains ont voulu voir une "décadence" du style gothique.



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L'ART GOTHIQUE (2) CHAPITRE 4 LA SCULPTURE GOTHIQUE

L'ART GOTHIQUE
CHAPITRE 4 : LA SCULPTURE GOTHIQUE

Jacques ROUVEYROL


I. LES CARACTERISTIQUES

La disparition progressive du mur libère peu à peu la sculpture de l'emprise de l'architecture et l'amène progressivement vers la nature. L'âge gotique sera en sculpture celui d'un équilibre entre les exigences du cadre architectural et celle du modèle naturel que la Renaissance va ensuite retrouver complètement.

1 . Encadrement.

La sculpture n'est pas libre. Elle est encadrée par le haut et le bas : dais et socle. Soumise encore à l'architecture.

2. Adossement.

La « statue » s’affranchit un peu du mur.
Elle tient en outre au mur par le dos. Mais n'y tenant que par le dos, elle s'en affranchit latéralement et sur le devant.

3. Facialité.

Ni frontale ni axialisée, la statue est faciale.....

a. Frontalité : archaïque : Sculpture égyptienne, Kouros grec, Vierge romane, tout premier gothique (Statues colonnes de Chartres)



La présentation frontale du pharaon égyptien, du Kouros grec, de la Vierge romane donne à ces figures un aspect hiératique. Figées dans une posture symétrique pour l'éternité, elles donnent sur Terre l'idée de divinités venues d'un autre monde.

b. Facialité : Gothique classique
Faciale, la statue gothique accède à un début de mouvement qui lui donne une "vie" . Alors que la statue frontale ne pouvait être regardée que de face, sous un seul angle, donc, la statue faciale peut l'être de tous les points de vue, sauf de dos.


c. Axialité : sculpture grecque, romaine, renaissante et après.


Un axe vertical la parcourt autour duquel on peut la faire tourner. Entièrement libérée de l'architecture, la statue est devenue autonome.

4. Expressivité.

Ainsi relativement libérée du carcan architectural, la sculpture cesse d'être bas ou haut relief pour devenir statue. Elle accède à une relative autonomie qui lui permet de parvenir à l'expression. Cette expression ne passe pas encore par le visage mais par le maintien.


5. Equilibre entre architecture et « nature »

Encore soumise pour une part à l'architecture, elle doit accepter des "déformations". Les statues colonnes de Chartre s'allongent en hauteur comme l'exige la colonne à laquelle elles sont adossées. Mais, d'une certaine manière libérées du mur devant lequel elle tendent à s'avancer, elles ressemblent davantage aux êtres humains qu'elles figurent. L'équilibre entre architecture et nature définit la sculpture gothique.



6. Le type humain.

La possibilité de ressembler à un être naturel permet à la statue non d'incarner encore un être individuel (grand ou petit, chauve ou chevelu, etc) mais, au moins, le type humain, l'essence même de l'homme, ce qu'il y a d'universel, de commun à tous les individus : leur humanité.



7. La correspondance entre Ancien et Nouveau Testament.

a. « Désordre » iconographique du Portail roman.
On a vu le cloître de Moissac aligner dans un désordre iconographique évident ses chapiteaux. Le porche de la même église évoque des scènes du Nouveau Testament dans un désordre presque aussi important : Annonciation / Visitation (cela va encore). Adoration des Mages, Présentation au Temple, Fuite en Egypte, mort de Lazarre, mort de l'Avare, Luxure.

b. « Chronologie » du Portail gothique (Le portail des Précurseurs).
Le portail gothique déroule l'Histoire Sainte. Des Patriarches et prophètes aux Saints des Evangiles, on avance progressivement vers la Nativité (représentée par la Vierge Marie).
Le gothique introduit l'ordre ou bien chronologique ou bien symbolique (les corespondances entre Ancien et Nouveau Testament. Voir plus loin).




L'ART GOTHIQUE (3) CHAPITRE 4 (suite) LA SCULPTURE GOTHIQUE

L'ART GOTHIQUE
CHAPITRE 4 : LA SCULPTURE GOTHIQUE (suite)
Jacques ROUVEYROL

II. L’ICONOGRAPHIE : LA FORME .

1. Les nouveaux thèmes :

De l’Apocalypse des tympans romans on passe, sur les tympans gothiques, au Christ en gloire, au Jugement Dernier et à la Gloire de la Vierge. Dieu cesse d'être cet être terrible et sans rapport avec l'humain. Il devient le Père. Celui qui partage le bien du mal, récompense ou punit. C'est que son Fils a une Mère, comme les hommes. Dieu s'est "humanisé". Il n'en reste pas moins un Juge sévère. mais que les Saints ou sa Mère peuvent influencer par leurs prières.

2. La grammaire gothique.

a. Des signes, pas des symboles.
Les images (sculptures, peintures) produisent ensemble une écriture faite de signes non de symboles comme on le répète trop souvent.Un signe c'est une différence. Un signe ne prend son sens que se distinguer des signes auxquels il s'accole. Le rapport du signifiant (par exemple le nimbe crucifère qui auréole le visage du christ) au signifié (le Christ) est arbitraire (on aurait pu lui adjoindre un nimbe non crucifère, comme on fait des autres saints). Alors que dans le symbole le rapport du signifiant (la croix, par exemple) au signifié (les chrétiens) est "justifié" (en ce sens que les chrétiens ne sauraient être représentés par n'importe quoi : une balance ou un glaive, qui valent, eux, pour la justice).Ainsi, que Jésus hérite du nimbe crucifère n'a d'autre sens que celui-ci : il n'est pas confondable avec ceux qui héritent du nimbe simple. Mais l'inverse eût été possible.La mandorle ou gloire encerclant un corps désignera celui-ci comme étant celui de Dieu ou de la Vierge. Les pieds nus, Dieu, Jésus, les anges, les apôtres. Pour les distinguer de la Vierge, des autres saints et du commun des mortels (non pourvu de nimbe et ainsi distingués de la Vierge et des autres saints qui ont en commun avec eux d'avoir les pieds chaussés).


b. Les types.

Des types se mettent progressivement en place qu'on retrouvera jusque dans les oeuvres des XVII°, XVIII° et même XIX° siècles. Ainsi, il y a un type Saint-Pierre, reconnaissable : des caractéristiques de la physionomie, indépendantes des clés qui sont un autre signe de reconnaissance (c'est-à-dire de distinction). Un type Saint Paul, indépendant de l'épée qui le distingue à son tour. Un type Saint Jean-Baptiste (moins indépendant, cette fois, de la peau de mouton qui le vêt).


D'autres figures sont des données constantes de l'écriture gothique. Ainsi l'Eglise (Vierge couronnée, portant à la main le Graal qui recueillit le sang du Christ) opposée à la Synagogue (femme couronnée d'un bonnet pointu, les yeux bandés (il y a là du symbole). La première porte le message du Christ directement et donc clairement délivré par Dieu lui-même en la personne de son fils. La seconde porteuse du message déformé, voilé des prophètes et qui n'a pas su reconnaître la divinité de Jésus.


c. La hiérarchie des lieux : haut/bas, droite/gauche.
Selon que la figure est placée en un lieu ou un autre, sa valeur n'est pas la même. Dans le Tétramorphe, par exemple, Saint Mathieu est en haut à droite (du Christ) et Saint Jean à gauche tandis que Saint Marc et Saint Luc sont en bas respectivement à gauche et à droite (du Christ).


d. L'Ordonnance du détail :
Les socles des statues. Ils disent quelque chose de la statue qu'ils supportent. Le basilic et l'aspic (la mort et le péché) sont sous les pieds du Christ qui en triomphe. Les saints ont sous eux les rois qui les ont persécutés et dont, à la fin, ils triomphent eux-aussi.
Les emplacements dans l’église ont leur signification. Au nord (nuit et froid) les épisodes de l'Ancien Testament. Au sud (jour, chaleur) ceux du Nouveau. Les nombres, à leur tour, signifient.
Que les apôtres soient douze n'est pas indifférent. "4" est le chiffre de la matière (les quatre éléments) et "3", celui de l'esprit (la Sainte Trinité). Ainsi ("4x3=12") les apôtres sont ceux qui importent l'esprit dans la matière, Dieu dans le Monde.


5. Les symboles.
Les cinq Vierges sages correspondent aux cinq contemplations tandis que les cinq Vierges folles désignent les cinq sens et la concupiscence). Le lion désigne la Résurrection.
Les attributs : l’agneau/ Jean-Baptiste, Moïse/serpent d’airain ou tables de la loi, Abraham/un jeune enfant (Isaac),Isaïe/l'arbre de Jessé.

6. La peinture.
La peinture gothique c’est au vitrail qu’on la trouve. L’enluminure ne fait qu’imiter la lumière et la consistance du vitrail.

III. L’ICONOGRAPHIE : LE CONTENU.

La cathédrale n'est pas seulement une arche ou la préfiguration de la Jérusalem Céleste (la Cité de Dieu), elle est aussi un livre. Non pas, une fois encore, une Bible des illettrés, car il faut justement savoir lire (on vient de le voir) pour en comprendre l'iconographie, mais au contraire une encyclopédie qui récapitule et expose la totalité du savoir (de l'époque). (Voir Emile Mâle). La source, c'est le Speculum majus (Le Grand Miroir du Monde) de Vincent de Beauvais qui se décompose en "quatre miroirs".


1. Le miroir de la Nature (Speculum naturale).

La Nature n'est rien d'autre que l'incarnation de la Pensée de Dieu. Il l'a conçue, il l'a créée selon ses plans, elle exprime donc exactement sa Pensée. Reste qu'il faut savoir la lire. Tout le travail de la "science" sera de déchiffrer ce "texte". Ainsi, prenons une noix (rien n'est plus commun), la noix de Saint-Victor. Il y a d'abord l'enveloppe. Elle a deux sens : c'est ou l'humanité du Christ ou le Monde. Il y a ensuite la coque qui aura donc encore deux sens, en rapport avec ceux de l'enveloppe : c'est le bois de la croix ou le péché. Il y a enfin le fruit qui est la divinité cachée du christ ou la Pensée de Dieu. Ainsi, Tout est dans chaque chose et Dieu partout.


Il y a encore les animaux. Tous, certes, ne sont pas symboliques. Les plus importants désignent les quatre Evangélistes. Ils constituent le Tétramorphe. C'est l'Aigle (Saint Jean mais aussi l'Ascension de Jésus et, parmi les vertus, la contemplation), l'Ange ou l'Homme (Saint Mathieu mais aussi l'Incarnation de Jésus et, comme vertu, la sagesse), le Lion (Saint Marc mais aussi la Résurrection de Jésus et, comme vertu le courage) et le Bœuf (Saint Luc mais aussi la Crucifixion de Jésus et, comme vertu la tempérance ). Le serpent (ou dragon) est le diable. L'éléphant symbolise la Chute. L'aspic est le péché et le basilic la mort, on l'a vu. Encore une fois tous les animaux ne sont pas symboliques. Les bœufs de Laon sont un hommage au travail fourni par ces animaux lors de la construction de la cathédrale. Ailleurs ils expriment la puissance créatrice de Dieu (voir par exemple au portail nord de Chartres la Création des Animaux).

2.Le miroir de la Science (Speculum doctrinale).

La cathédrale est donc miroir de la Nature. Elle est aussi miroir de la science. Sur ses murs tout ce que la science compte de connaissances s'expose.

a. La science pratique :
Le travail. Ce sont les « calendriers » décrivant les occupations de chaque mois mis en relation avec la chronologie zodiacale.
b. La science spéculative :
La science médiévale n'est pas, comme la nôtre, un instrument de domination de la nature (par la science, "nous rendre maîtres et possesseurs de la nature", programmait Descartes dès le XVII° siècle); elle en est l'interprète. Et elle s'enseigne dans un ordre précis. D'où cette organisation des études : le trivium (grammaire, dialectique, rhétorique) et le quadrivium (géométrie, arithmétique, astronomie, musique), enfin la philosophie (ou théologie). Ce sont ces disciplines qui se trouveront personnifiées, souvent par référence à un savant authentique (Aristote, Pythagore, Boèce, etc.).

c. L’exclusion de la paresse :
Si la science se manifeste dans le travail, il faut compter au nombre des figures qui la représentent, la figure antinomique de la paresse qui se donne sous la forme de la Roue de la Fortune. Confier au hasard le soin de pourvoir à notre subsistance, voila la paresse, mère de tous les vices.

3. Le miroir de la Morale (Speculum morale).

La troisième grande dimension du savoir, c'est la morale, la science du comportement.

a. Le modèle roman :
Il y a de la morale un modèle roman : La Psychomachie de Prudence : le combat des vertus et des vices qui orne de nombreux chapiteaux. C'est un combat intérieur dont vont s'inspirer les sculpteurs romans. Les gothiques vont chercher ailleurs et pas aux mêmes modèles selon qu'ils sont enlumineurs ou sculpteurs.

b. Les modèles gothiques pour l’enluminure :
L’Arbre des Vertus et des Vices (ci-dessous) de Hugues de Saint-Victor et l’Echelle des Vertus d’Honorius d’Autun.





c. Les sculpteurs :
Ils ne retiennent aucun de ces modèles et opposent par couples les vertus et les vices.
 
On retiendra avec les théologiens de l'époque, trois catégories de vertus :
- Les vertus théologales : Foi (vice : idolâtrie), Espérance (vice : désespoir), Charité (vice : avarice). Ce sont les vertus sans lesquelles il n'y a aucun espoir de Salut.
-Les vertus cardinales : Chasteté (vice : intempérance), Prudence (ou Sagesse; vice : folie), Force (ou courage; vice : lâcheté), Justice (ou obéissance; vice : rébellion).
- Les autres vertus comme, par exemple, l'humilité (vice : orgueil), la patience (vice : colère), la douceur (vice : dureté), la concorde (ou la paix; vice : discorde), etc.

4. Le Miroir de l'Histoire (Speculum historiale)

Enfin, la cathédrale sera le miroir de l'Histoire. Non de l'histoire profane qui n'est guère pourvue de sens, mais de la seule Histoire qui vaille : l'Histoire Sainte telle qu'elle est rapportée par l'Ancien et le Nouveau Testament. Cette Histoire, il s'agira de la comprendre, c'est-à-dire puisque l'Ancien Testament est l'annonce du Nouveau, de trouver les correspondances entre les deux. La vie des saints, d'un côté et celle du peuple juif, de l'autre, résonnent d'un bout à l'autre de l'Histoire. Il faut saisir et expliciter ces résonances.
Ainsi le Sacrifice d'Isaac préfigure-t-il celui du Christ. L'eau tirée du rocher par Moïse, le sang qui s'échappe de la plaie faite au flanc du Christ par Longin. Jonas sortant de la gueule de la baleine, la résurrection du Christ. Et ainsi de suite. Les vitraux des cathédrales sont de subtils commentaires de la Bible.

Soit ce fragment de vitrail de Lyon. Il établit des correspondances entre Ancien Testament, Nouveau Testament et symboles. Cela donne, de bas en haut :

1. Isaï, le prophète qui annonça la naissance de Jésus par une Vierge ; l'Annonciation, l'ange qui annonce la naissance de Jésus à la Vierge; la licorne, est un animal pur qui ne se laisse approcher que par une vierge.

2. Le buisson ardent brûle sans se consumer ; la Vierge accouche sans avoir "consommé" ; la toison de Gédeon se couvre de rosée sans raison naturelle.

3. Abraham est prêt à sacrifier Isaac pour obéir à Dieu ; Jésus s'est sacrifié sur la croix pour le salut des hommes ; le serpent d'airain est élevé dans le désert par Moïse pour sauver les juifs des serpents brûlants envoyés en châtiment

4. Jonas recraché par la baleine revient au monde ; Jésus, le troisième jour ressuscite ; les lionceaux qui paraissent morts les trois premiers jours semblent reprendre vie le troisième sous le souffle de leur père.

5. Le kladrius est un oiseau capable de dire si un malade vivra ou mourra ; Ascension du Christ qui vivra donc après la mort ; l'aigle est l'oiseau qui s'élève le plus haut et qui, pour apprendre à voler à ses petits, les charge sur ses ailes.


Chaque texte, d'ailleurs, est porteur de trois sens : le sens littéral ou historique (on rapporte un fait : Abraham a existé); un sens moral ou tropologique (c'est la signification immédiate de ce fait : la Foi. Abraham, en dépit des hésitations de Dieu qui lui donne puis lui retire un fils, obéit, ne doute pas une seconde que c'est Dieu qui lui ordonne. Il ne sait pas que Dieu éprouve sa foi, bien sûr, sinon ce ne serait pas une épreuve; mais il croit). Un sens mystique ou allégorique (la Crucifixion du Christ préfigurée par le sacrifice d'Isaac).

Mais, la vie du Christ (Le Nouveau Testament) est aussi à interpréter. Et les légendes qui s'y attachent sans y avoir figuré. Ainsi celle des deux sages femmes Zélémi et Salomé par exemple. L'une s'étonne de ce que Marie est encore vierge après l'accouchement et l'autre doute. Lorsqu'elle vérifie de la main, celle-ci se dessèche. Ce n'est qu'en demandant pardon à l'Enfant Jésus et par un acte de foi qu'elle retrouve l'usage de sa main. Une des sources principales d'inspiration, outre le Nouveau Testament sera La Légende dorée de Jacques de Voragine .

5. L' Evolution des représentations.

On voit le contenu de la sculpture gothique et ses sources. Il faut aussi considérer, pour finir, sa forme. Non pas les caractères généraux étudiés plus haut, mais ses caractères particuliers. Spécialement l'évolution de certaines figures comme, par exemple, celle de la Vierge

a. Roman :
La Vierge en majesté. Frontale, hiératique, assise sur son trône avec l'Enfant sur ses genoux, elle est le trône de Dieu. Rien qui soit féminin ou maternel.


b. Premier gothique :
Début d’humanisation de la Vierge. Au XIII° siècle, la Vierge "s'humanise". L'enfant glisse sur un genou et tourne son visage vers sa mère ou joue avec elle.


d. Gothique classique :
La Vierge mère. La voici debout, portant l'Enfant sur son bras et lui souriant. La Vierge est devenue mère.


e. Dernier gothique :
La femme. Au XV° siècle, c'est la Vierge de douleur, la mère qui vient de perdre son enfant. La femme qui souffre. Ainsi, à mesure que Dieu "s'humanise", comme on l'a vu plus haut, la Vierge connaît une semblable humanisation.


f. La Vie de la Vierge :
La vie de la Vierge devient un thème essentiel de l'écriture dans les portails et sur les façades des cathédrales. Les scènes les plus représentées sont naturellement l'Annonciation, la Visitation, la Mort et l'Assomption.
Un thème apparemment très fréquent au tympan est celui dit du Couronnement de la Vierge. Cette façon d'envisager les choses étant par ailleurs contestable. En effet le fait de déposer une couronne sur la tête d'une vierge équivaut de la part d'un homme à une demande en mariage. Il est évident que ce n'est pas sa mère que le Christ demande en mariage. Par ailleurs, on se souvient qu'une femme portant couronne caractérisait l'Eglise par opposition à la Synagogue aux yeux bandés. Ainsi, le Couronnement de la Vierge, ne serait en fait que le Mariage mystique de Dieu avec l'Église.
Cette représentation évolue au cours du temps. Dans la formule la plus ancienne, la couronne est déjà sur la tête de "la Vierge". Puis, il reviendra à un ange de déposer la couronne. Dans la formule finale, vers 1250 (la plus explicitement matrimoniale) c'est le Christ qui dépose la couronne sur la tête de l'Eglise.



La cathédrale n’est pas qu’une arche dans laquelle l’humanité peut se réfugier, pas que la préfiguration de la Jérusalem céleste, elle est un livre. Une encyclopédie ou se reflète tout le savoir du Moyen-Âge. Lorsque, dans Notre-Dame de Paris, Victor Hugo intitule le chapitre où il évoque l'invention de l'imprimerie et la fin de l'architecture médiévale : Ceci tuera cela, il exprime parfaitement la réalité de la sculpture gothique.